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“Terrasses” : le chant des morts et des vivants de Laurent Gaudé à La Colline

© Simon Gosselin

Le 13 novembre 2015, la salle de spectacle Le Bataclan a été le théâtre d’un massacre total perpétré par des tueurs jihadistes. Une centaine de morts, plus de quatre cents blessés, dans une salle bondée de 1 200 jeunes gens qui s’aimaient et venaient profiter de la vie avec le groupe musical Eagle of Death Metal. Près de dix ans après, le romancier et dramaturge Laurent Gaudé s’empare de cet événement pour en faire une tragédie contemporaine, incarnée par dix-sept acteurs dans une scénographie et des lumières captivantes, sous la direction du metteur en scène Denis Marleau.

“Nous resterons tristes longtemps mais pas terrifiés. Pas terrassés.”

© Simon Gosselin

La pièce débute comme le chœur antique d’une tragédie, le matin ensoleillé d’une journée qui s’achèvera dans le sang. Deux jeunes filles qui s’aiment se promettent de sceller leur amour le soir même, savourant les mille détails d’une journée pleine de promesses. Une autre attend sa sœur jumelle qui vient de Barcelone, un jeune homme les interpelle, puis le chœur s’agrandit et se peuple d’individus qui parcourent Paris, durant une journée qui commence comme tant d’autres, sous le doux soleil d’automne. Pour autant, Laurent Gaudé place dans la tête de chacun de ses personnages la prescience de ce qui va advenir. Ils sont acteurs naïfs de leur présent, tout en ayant déjà la connaissance dramatique de ce qui va survenir dans les heures qui suivent.

Les voix des vivants et des morts

© Simon Gosselin

Passants, policiers, secouristes, infirmières, parents, médecin, tous déambulent et prennent la parole et les mots sont des passerelles entre le monde des vivants et celui des morts. Les mots sont simples et déchirants, les situations d’une sobriété radicale. Le poids du hasard est comme la lumière sourde qui balaie l’obscurité d’un monde saisi par l’effroi, il touche les plus faibles, et les plus forts. Chacun des personnages va se livrer, dans une intimité criante et déchirante, tous en faisant corps avec les autres personnages. L’infirmière, qu’on a appelée au milieu de la nuit, et qui découvre que cette nuit-là sera la plus longue et la plus insupportable de toutes celles que cette professionnelle chevronnée à vécues. Le médecin, habitué aux scènes de guerre, qui déambule pour tenter de trier et de sauver ceux qui peuvent supporter l’attente d’une intervention. Le policier, muni de son courage, qui débarque dans un enfer et qui va tirer à bout portant sur l’un des terroristes.

Sobriété du traitement scénique

© Simon Gosselin

Privilégier les mots, l’oralité des discours souvent lyriques, écrits dans une langue précise et claire, a été le fil conducteur de la mise en scène de Denis Marleau. Quelques vidéos sobres rappellent les lieux de cette déambulation nocturne, mais les dix-sept acteurs, tous très investis, sont les porteurs plus qu’émouvants de notre mémoire collective, qui vont finalement, au terme d’une épopée infernale, faire triompher la vie et le plaisir collectif. Tous portent avec énergie cette volonté de surpasser ensemble la mort et du silence, et c’est un peu la voix du théâtre qui dit le désir de dire et de procurer du plaisir d’être en vie.

Hélène Kuttner   

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